Protection de la nature Agriculture et Sylviculture
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Le gouvernement faillit-il à sa mission en matière de protection de l’eau potable?

La Directive  2000/60/CE du Parlement et du Conseil établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, transmise en droit national par la loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau, dispose expressément que tous des pays membres sont tenus de garantir une protection suffisante de leurs ressources en eau potable.

Cette disposition interpelle particulièrement le Luxembourg où depuis des années, voire des décennies, la protection de ces ressources est négligée. Il est vrai qu’à l’heure actuelle, il n’existe qu’une seule et unique zone de protection légale, ceci  autour du barrage d’Esch-sur-Sûre, comprenant toutefois des zones qui ne répondent plus aux normes de nos jours. Il est également vrai que certaines communes ont pris des mesures à titre volontaire, dans le but précisément de protéger leurs sources en eau potable, notamment par une campagne de sensibilisation et de conseils aux agriculteurs. Dans l’ensemble, la situation doit être qualifiée d’insatisfaisante. En maints endroits, la qualité des eaux souterraines se dégrade, dû aux teneurs élevées en pesticides et en nitrates. Au vu de cette situation, il est impérieux de réagir!

Il ne faut pas perdre de vue qu’au Luxembourg, 60% de l’eau potable proviennent de source souterraine (sources, puits et forages), ce qui explique la nécessité absolue et incontournable d’une protection adéquate.

Le comportement affiché par le Ministère de l’intérieur face à ce thème crucial peut être qualifié d’irresponsable, même si un projet de règlement grand-ducal portant définition des zones de protection de l’eau potable et attendu depuis des années a été proposé.

Toujours est-il que le projet décoit sur les attentes et les besoins: 

Le projet de règlement grand-ducal dont dispose le Mouvement Ecologique et qui est accompagné des commentaires du Conseil d’état présente en effet des oublis flagrants, qui sont inacceptables. Dans ce contexte, il faut souligner les lacunes suivantes:

  • Les mesures devant permettre de garantir la protection des eaux souterraines sont insuffisantes! C’est là que réside certainement la plus grande lacune du projet. Depuis 2002, respectivement 2010, deux règlements grand-ducaux fixent des valeurs cibles en termes de qualité de l’eau potable, resp. des eaux souterraines. Celui de 2010 dispose même dans son article 5 que des mesures  adéquates doivent être prises du moment que 75% de la limite de pollution en agents polluants sont atteints.
    Le présent projet de règlement est censé régler plus concrètement les mesures portant protection des eaux souterraines utilisées comme eau potable. Or, ce n’est pas le cas! Les mesures édictées dans le but de garantir la réalisation des normes visées sont insuffisantes.
    D’un côté, une ribambelle d’interdictions et de règles détaillées; mais en ce qui concerne la pollution diffuse causée par des substances nutritives et de pesticides, le texte ne prévoit qu’un programme de mesures à adopter au cas par cas pour chaque aire de protection des sources d’eau.  En général, le degré de contamination d’une source est fonction de la part des surfaces agricoles qui existent dans la zone de sa zone de captage. Plus la part en surfaces agricoles (en comparaison à d’autres surfaces comme p.ex.  les bois) est grande, plus les restrictions imposées aux agriculteurs devraient être importantes.

    A cet égard, un modèle de calcul uniformedevrait être proposé, qui permettrait d’analyser en détail les pertes de nitrates et de pesticides provenant des différentes cultures des champs (benchmarking[1]), et au-delà de développer des scénarios permettant de protéger et de dépolluer des sources contaminées. Le règlement qui est sur la table reste muet quant à un pareil benchmarking et une procédure coordonnée. En revanche, le texte s’appuie avec beaucoup de largeur sur une « bonne pratique professionnelle » et interdit simplement 8 pesticides que l’on retrouve aujourd’hui dans les eaux souterraines (et qui seront en pratique remplacés par d’autres), dans l’espoir que „tout s’arrangera d’une manière ou d’une autre“. Inutile de préciser qu’une gestion risque qui se veut transparent et moderne est tout autre!

 

  • La question de la compensation des agriculteurs n’est pas réglée de manière satisfaisante!
    A cela s’ajoute que les compensations des agriculteurs, qui sont sans doute en partie indispensables, ne sont pas réglementées de manière perceptible. Les modalités de la compensation due en contrepartie des différentes restrictions imposées, qui varient pourtant fortement selon la zone définie, restent obscures. Les programmes agro-environnementaux actuels basés sur des mesures volontaires ne s’orientent en tous les cas nullement d’après des objectifs ciblés sur la protection des eaux souterraines et ne sont pas assez flexibles pour prendre en compte la diversité des éléments caractérisant les différentes zones.  Un vide juridique se crée, qui ne contribue certainement pas à renforcer l’acceptation des efforts de protection de l’eau potable du côté des agriculteurs. Le fait que cette question cruciale ne fasse pas l’objet d’une réglementation et d’un débat ouvert témoigne d’une flagrante irresponsabilité , alors que nul n’ignore que c’est là que réside, depuis des années, une des raisons de la débâcle de la protection de l’eau potable,.

 

  • Identification des aires de protection de l’eau potable dans les PAG?
    D
    ans leurs plans d’utilisation des sols (PAG), les communes sont tenues d’identifier clairement les zones de protection. Toujours est-il que les précisions quant aux modalités et aux indications temporelles font défaut. Le chaos administratif est programmé … Dans le cadre d’une „simplification administrative“ tant appréciée paraît-il, l’on devrait pouvoir s’attendre à ce qu’un „bon boulot“ soit fait dès le départ … ce qui n’est pourtant pas le cas à l’heure actuelle en matière d’identification des aires de protection de l’eau potable!

 

  • Une politique de l’eau dynamique!
    S’y ajoute que tout effort innovant et prévoyant est absent. Dans d’autres pays (ex. Ville de Munich), les agriculteurs sont fortement encouragés par l’Administration de la Gestion de l’Eau à se convertir à l’agriculture biologique, puisque l’expérience démontre que cette forme de culture exerce des effets bénéfiques sur la qualité de l’eau. Au Luxembourg, les efforts ne visent guère plus loin que les „bonnes pratiques professionnelles“ existantes. L’actuel projet de règlement ne pose pas de frein aux substances nutritives qui sont employées dans l’agriculture, dont e.a. l’azote, moteur pour la croissance de cette dernière et fléau pour la qualité de l’eau. 

 

  • Pour conclure: le problème des pesticides
    B
    ien que le Luxembourg aurait dû avoir transposé la directive „pesticides“ déjà en novembre 2011, il n’a pas accompli son devoir à ce jour.  De même, les travaux de rédaction d’un „plan d’action national pesticides“ ayant pour but d’endiguer à terme l’utilisation de pesticides, et qui auraient dû être finalisés, en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés, en novembre 2012, n’ont même pas encore été entamés selon nos informations. S’il est vrai que le présent projet de règlement interdit l’utilisation de 8 pesticides dans les zones protégées, il est tout aussi probable que ces pesticides seront remplacés par d’autres substances, ce qui ne fait que déplacer le problème. Prendre dans l’immédiat, en matière de pesticides, des initiatives plus engagées au bénéfice des aires de protection de l’eau potable, serait la moindre des choses.

Malgré plusieurs interventions du Mouvement Ecologique auprès du Ministère de l’intérieur, ce dernier n’a pas été disposé à fournir des informations quant à la toute dernière version du texte du projet de règlement, ni quant aux processus et timing à venir. 

Le Mouvement Ecologique insiste sur le lancement d’une discussion ouverte et transparente, sur la création d’un forum de discussion rassemblant l’ensemble des acteurs concernés … et surtout sur la mise en place d’une protection renforcée et proactive des eaux souterraines, soit de nos sources en eau potable, dans l’intérêt des générations futures.



[1] Le benchmarking détermine le risque de lessivage vers la nappe souterraine de pesticides et nitrates pour différents objectifs de récoltes (intensité des cultures) sur des sols typiques au moyen d’essais et de calculs modèles et définit ainsi la limite de tolérance pour l’utilisation d’engrais et de pesticides dans les aires de protection de l’eau potable. Le benchmarking permet également de déterminer les pertes de revenus et les compensations dans le cas d’une agriculture plus extensive.